Premier séquençage massif du génome de moustiques en populations naturelles

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Les travaux d’un consortium scientifique lèvent le voile sur le génome du moustique vecteur du paludisme. Son fort polymorphisme génétique éclaire le développement et la propagation rapide de résistances aux insecticides. Il pourrait aussi complexifier les stratégies de lutte géniques.

Rien n’est simple, et tout se complique, dans la lutte contre le moustique responsable de la transmission du paludisme en Afrique tropicale. « Nos découvertes sur la remarquable variabilité génétique d’Anopheles gambiae contribuent à expliquer sa forte propension à développer des résistances aux insecticides. Elles suggèrent aussi une complexité inattendue dans la mise au point de solutions géniques », annonce l’entomologiste médical Carlo Costantini de l’IRD. Il est co-auteur, avec d’autres spécialistes associés au sein d’un consortium scientifique nommé « Anopheles gambiae 1000 genomes », d’une vaste étude sur le sujet.

Amélioration et résistances

Le paludisme est dû à l’action délétère d’un parasite microscopique, transmis à l’homme par la piqure de moustiques du genre Anopheles. En 2016, cette maladie a affecté 216 millions de personnes dans le monde et en a tué 445 000, dont 90 % d’enfants subsahariens de moins de 5 ans. Jusqu’à l’année dernière, ces chiffres connaissaient une constante diminution, notamment grâce à la généralisation de l’usage des moustiquaires imprégnées d’insecticides autour des lits. Mais cette amélioration marque le pas, en raison vraisemblablement de résistances des moustiques aux produits employés. Car la lutte contre les vecteurs à l’aide d’insecticides sur les lieux où se produisent les piqures, est le fer de lance de la prévention de la maladie.

Polymorphisme insoupçonné

« Pour la première fois, nous avons séquencé et analysé l’intégralité du génome de 765 moustiques, des Anopheles gambiae et des Anopheles coluzzii, provenant de 15 localités distribuées sur l'ensemble du continent africain », indique le chercheur. Le résultat de l’analyse génomique de ces insectes s’avère pour le moins surprenant. Ils présentent en effet un polymorphisme génétique 2 fois plus élevé que celui des populations africaines de la mouche drosophile et 10 fois plus élevé que celui d’Homo sapiens ! Ainsi, ces diptères vivant dans des milieux très divers – des confins sahéliens arides, aux forêts équatoriales humides -, affichent de multiples différences dans la structure et disposition de leurs gènes.

Circulation de gènes entre populations

Néanmoins, il existe au niveau de certains gènes une perméabilité entre les diverses populations d’anophèles. Elle permet à des caractères de passer de l’une à l’autre, à l’occasion de rencontres reproductives entre leurs membres. « Concrètement, cela explique comment des mutations, conférant des résistances à certaines molécules chimiques utilisées pour lutter contre ce vecteur, peuvent se propager dans des groupes d’insectes pourtant distincts, et rapidement d’un bout à l’autre du continent », indique à son tour son collègue Diego Ayala. Conjugué au manque d’innovation dans le domaine des insecticides et aux restrictions réglementaires quant à leur usage, ce problème complique singulièrement la lutte conventionnelle contre le vecteur. Certains scientifiques envisagent donc de développer des approches fondées sur la bio-ingénierie génomique.

Modifications de gènes

Il s’agit par exemple d’intervenir sur les gènes des moustiques - d’en insérer, d’en bloquer - pour rendre ces insectes stériles ou impropres à la transmission des parasites du paludisme. Par l’application de méthodes de forçage génétique, ces modifications auraient ensuite vocation à se diffuser dans les populations de vecteurs ou, à contrarier leur reproduction. « Mais là aussi, nos travaux montrent quelques subtilités qui pourraient rendre l’entreprise plus compliquée que prévu, note-t-il. Les gènes et les séquences d’ADN intéressant une telle stratégie montrent un fort polymorphisme et, en conséquence, pourraient rapidement donner lieu à des résistances, comme d’ailleurs déjà observé dans des expériences en cage avec des moustiques de labo ». Face à ces contraintes, la lutte génétique devra vraisemblablement cibler plusieurs gènes d'intérêt.

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