Ressources océaniques

Quand les poissons tropicaux colonisent la Méditerranée

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Depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869, de nombreuses espèces de poissons du bassin Indo-Pacifique ont envahi la Méditerranée. Un tiers d’entre elles ont colonisé des eaux plus froides que leur bassin d’origine étendant ainsi leur niche climatique. Ces résultats suggèrent que les expansions d’espèces en milieu marin face au réchauffement climatique sont aujourd’hui encore sous-estimées. Fruit du travail de recherche d’une équipe internationale composée notamment de scientifiques de l’équipe CoReUs de l’IRD (désormais intégrée à l’UMR 9220 Entropie) et du Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (CRIOBE – CNRS/​Université de Perpignan/​EPHE) “, cette étude est à la Une du numéro de mars 2015 de la revue Ecology Letters.

A son corps défendant, la mer Méditerranée est depuis 1869 la plus grande expérience naturelle d’invasion d’espèces. Le Canal de Suez a en effet créé une connexion directe entre la mer Rouge et la mer Méditerranée. Plus de 90 espèces de poissons du bassin Indo-Pacifique ont ainsi pu remonter en Méditerranée. Cette colonisation s’accorde-elle avec leur niche climatique d’origine ? Pour le savoir, des chercheurs français, italiens et israéliens ont rassemblé plus de 800 articles scientifiques relatifs à la distribution spatiale en Méditerranée et dans le bassin Indo-Pacifique de 30 espèces de poissons envahissantes – les fréquences d’observations des autres espèces étant insuffisantes pour être considérées comme fiables –.

Les scientifiques ont pu montrer que 33 % de ces 30 espèces tropicales se sont implantées au-delà de leur niche climatique, dans des eaux bien plus froides (parfois avec des différences de 6°C) que celles où elles étaient géo-référencées. Or, ces niches climatiques servent aujourd’hui de bases aux modèles permettant de prévoir les invasions biologiques et les effets des changements climatiques sur la distribution des espèces. “En milieu terrestre, ces modèles prédictifs apparaissent fiables. En milieu marin, nos résultats suggèrent qu’ils sous-estiment significativement les expansions potentielles des espèces envahissantes”, explique Valeriano Parravicini, enseignant-chercheur au Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (CRIOBE) et premier auteur de l’étude.

Plus que les niches climatiques, ce sont donc les niches écologiques des espèces marines qui seraient à intégrer dans ces modèles. «Il est essentiel d’introduire de nouveaux facteurs : les courants qui peuvent transporter les larves sur des centaines de kilomètres, les interactions biologiques, la compétition potentielle entre espèces… ” précise le chercheur. En Méditerranée, les poissons tropicaux, habitués à une compétition féroce dans le Pacifique, n’ont trouvé, pour certains, que peu de “compétiteurs” et pour d’autres, pléthore de nourriture.