Super-éruptions volcaniques : nouveau regard sur les écoulements pyroclastiques

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Une étude internationale, conduite par des chercheurs de l'IRD (Laboratoire magmas et volcans IRD/CNRS/Université Blaise Pascal), de l’Université de Buffalo et de l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis, apporte un nouvel éclairage sur la compréhension des mécanismes physiques responsables des écoulements pyroclastiques générés lors des super-éruptions volcaniques. Jusqu’à présent, seul le modèle de mélange dilué turbulent permettait d’expliquer les distances de parcours considérables de ces écoulements. Les chercheurs révèlent pour la première fois l’existence d’écoulements denses, engendrés par un très fort débit éruptif et une pression de gaz interstitielle soutenue. Ces résultats, qui permettent de mieux évaluer les aléas volcaniques, sont publiés le 7 mars 2016 dans la revue Nature Communications.

Les super-éruptions volcaniques explosives, dont le volume dépasse 500 km3 de magma, constituent des phénomènes cataclysmiques rares mais extrêmement dévastateurs. Ils génèrent des écoulements pyroclastiques, mélanges de gaz et de fragments de roches à haute température, plus denses que l’atmosphère, qui dévalent les flancs des volcans, détruisant tout sur leur passage. Les dépôts issus de ces écoulements, appelés ignimbrites, peuvent s’étendre sur des distances de plus de 100 km depuis le centre éruptif.

Deux mécanismes physiques distincts à l’origine des écoulements pyroclastiques

La compréhension des processus à l’œuvre lors du transport et du dépôt des écoulements pyroclastiques, essentielle pour estimer les aléas naturels liés à ces phénomènes, intéresse les volcanologues depuis de nombreuses années.

Deux mécanismes physiques fondamentalement différents sont susceptibles d’opérer : un écoulement rapide et dilué (contenant moins d’1 % de particules, en volume), dont la turbulence maintient les particules en suspension, ou bien un mélange avec une concentration quasi-maximale en particules , au sein duquel la pression de gaz interstitiel réduit la friction interne. Jusqu’à présent, seul le modèle d’écoulement dilué avait pu être démontré quantitativement, requérant des vitesses de propagation supérieures à 200 m/s.

L’objectif de ces recherches est de comprendre le comportement des écoulements pyroclastiques à partir d’un exemple bien caractérisé, afin de définir un modèle applicable à l’ensemble des super-éruptions se produisant sur Terre.

L’ignimbrite de Peach Spring révèle ses secrets

Dans cette étude, les chercheurs ont étudié l’ignimbrite de Peach Spring (en Arizona, aux Etats-Unis), formée par des écoulements de plus 170 km lors d’une éruption survenue il y a 18,8 millions d’années, émettrice de plus de 1300 km3 de magma et ayant conduit à la formation d’un cratère volcanique géant (ou caldera).

Ils se sont intéressés à la présence, dans l’ignimbrite étudiée, de gros blocs de roches (> 0,5-1 m) présents initialement sur le substrat et entrainés par les écoulements pyroclastiques. Une première analyse leur a permis de démontrer que de tels blocs n’avaient pas pu être mis en mouvement par des écoulements dilués à des vitesses réalistes.

Afin de comprendre ce phénomène d’entrainement, les chercheurs ont ensuite simulé, en laboratoire, la propagation d’un écoulement pyroclastique sur un substrat de particules. La procédure, mise au point avec les partenaires de l’Université de Chili, consiste à générer, à petite échelle, un écoulement gravitaire constitué d’un mélange dense de particules solides et d’air. Grâce à ces expériences, les chercheurs ont montré, pour la première fois, qu’un gradient de pression généré à la base de l’écoulement permet de soulever les particules du substrat, qui sont alors incorporées dans l’écoulement et entraînées vers l’aval.

En appliquant la loi expérimentale qui relie la taille des particules du substrat entrainées à la vitesse de l’écoulement, les auteurs ont pu calculer la vitesse des écoulements  pyroclastiques qui ont formé l’ignimbrite Peach Spring : entre 5 et 20 m/s. Cette vitesse, sur une distance de parcours minimale de 170 km, a ensuite permis de déterminer la durée de l’éruption  (entre 2,5 et 10 heures), et son débit (107-108 m3/s), supérieurs à ceux connus jusque-là.

Vers une meilleure évaluation des aléas volcaniques dans les pays du Sud

Grâce à cette combinaison d’expériences en laboratoire et de données de terrain, les chercheurs concluent que lors d’une super-éruption, un fort débit éruptif pendant plusieurs heures et une pression de gaz interstitielle soutenue dans les écoulements pyroclastiques peuvent être plus efficaces qu’une suspension diluée extrêmement rapide pour causer de très grandes distances de parcours.

Ce nouveau regard sur les mécanismes de propagation des écoulements pyroclastiques invite à reconsidérer les interprétations de nombreuses ignimbrites générées par des super-éruptions au cours de l’histoire de la Terre. Il ouvre de nouvelles perspectives pour mieux évaluer les aléas volcaniques, notamment le long de la Cordillère des Andes, qui regroupe certains des volcans les plus actifs du monde : Chimborazo, Cotopaxi, Tungurahua (Equateur), Ubinas, Misti (Pérou), Lascar, Villarrica, Calbuco (Chili)…

Gestion des aléas et risques volcaniques : une coopération scientifique Nord-Sud

Priorité scientifique de l’IRD, la gestion des aléas et risques volcaniques fait l’objet d’une coopération scientifique de longue date avec les partenaires des pays du Sud, dans les Andes (Chili, Equateur, Pérou) et dans les océans Indien et Pacifique (Indonésie, Vanuatu).

Depuis 2015, un consortium a vu le jour en Amérique latine, et constitue un outil de coopération régionale : le projet VIMESEA. Coordonné par l’IRD et la Commission nationale de recherche scientifique et technologique du Chili (CONICYT) et financé par la Commission européenne, ce projet vise à améliorer les connaissances sur les mécanismes des éruptions volcaniques dans les Andes et leurs impacts sur l’environnement et les sociétés. Il implique plusieurs instituts de recherche européens (Laboratoire magmas et volcans du CNRS, de l’Université Blaise Pascal et de l’IRD, Université de Bristol, Université de Munich, Institut de volcanologie de Pise) et sud-américains (Université du Chili, Institut géologique, minier et métallurgique du Pérou, Institut géophysique d’Equateur).

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